Briser le silence : “Mal Élevée” et l'urgence de la parole

© Élise Gotchac

Après l’avoir vue en juin dernier au théâtre Le Funambule à Paris, j'ai eu le plaisir d'assister à une répétition de la pièce Mal élevéeAprès avoir rencontré un joli succès à Avignon, elle est de retour en région parisienne et se joue jusqu’au 29 septembre au théâtre Les 3T à Saint-Denis

Cette œuvre percutante interroge comment les jeunes filles sont souvent conditionnées à une politesse extrême. Cela les pousse à s'effacer, à sourire même après une agression et à s'excuser pour des fautes qu'elles n'ont aucunement commises. 

Une réalité brutale et trop fréquente, que Lætitia Wolf et Astrid Tenon, du collectif En Finir Avec, dénoncent avec une énergie salutaire. À la veille de la reprise, alors qu'elles abordent cette étape avec “trac, mais un bon trac”, j'ai eu envie d'aller à leur rencontre pour explorer leur processus créatif, les thématiques abordées dans le spectacle, ainsi que les réactions du public.

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Pourriez-vous me parler de ce qui a déclenché l'idée d'écrire Mal élevée ? Qu'est-ce qui vous a donné l’impulsion finale ?

Lætitia : Il y avait une vraie notion d'urgence dans le fait de partager nos histoires avec le public, car on s'est assez vite rendues compte qu'on n'était pas seules, qu'il y avait une universalité dans ces propos-là.

Astrid : Les porter sur scène nous semblait donc important, voir impératif. 

Comment avez-vous collaboré pour créer cette pièce ? Aviez-vous des méthodes de travail particulières ?

Astrid : On a fait beaucoup de travail à la table, de recherche, beaucoup, beaucoup de discussions aussi. Et puis après, on a commencé à travailler le corps. Depuis, on continue, je pense, à se nourrir des retours, de ce qu'on vit au quotidien et de ce qu'on ressent sur scène. Et on évolue comme ça.

"Il y avait une notion d'urgence dans le fait de partager nos histoires, parce qu'on s'est assez vite rendu compte qu'on n'était pas seules et qu'il y a une universalité dans ces propos-là."

La pièce s'ouvre sur une marelle, tracée au sol, et une comptine, des symboles de l'enfance. Comment ces symboles s’intègrent-ils avec le message de la pièce ?

Lætitia : Il était question de détourner les symboles de l'enfance, justement, pour y ajouter des messages qui nous paraissent urgents à transmettre aux enfants, notamment en termes de sécurité.

Astrid : Et de consentement aussi. L'objectif est vraiment de sensibiliser.

Comment le public a-t-il réagi aux premières représentations ? Y a-t-il un moment ou une réaction particulière qui vous a surprise ?

Lætitia : Ce n'est pas tant une réaction en particulier, mais plutôt le fait que l'accueil a été unanime.

Astrid : Oui, vraiment unanime. On a été étonnées par la rapidité et l'intensité des retours positifs. C'était bien au-delà de ce que l'on avait imaginé.

Lætitia : Et cela s'est produit très vite, dès les premières représentations.

L’une des grandes questions que soulève la pièce est : comment toucher celles et surtout ceux qui ne se sentent pas concerné.e.s. Comment aimeriez-vous que Mal élevée touche un public plus large ?

Lætitia : Grâce à Avignon, on a enfin la réponse : par le bouche à oreille. Ça ne tient qu'à ça. Justement, puisque c'est universel, ce type d'histoire, il suffit que quelqu'un l'ait vu, qu'il ou elle en parle... c'est tout ce qu'il nous faut (Astrid acquiesce). Et possiblement un peu de presse.

Astrid : Effectivement, ça serait en effet pas mal d'avoir des médias qui viennent et qu’ils s'intéressent à du théâtre émergent. Je suis convaincue que c'est là où se trouvent les créations les plus belles et les plus significatives aujourd'hui.

“L’accueil [du public] a été unanime”

Justement, en parlant d’Avignon, vous y avez joué en juillet pendant le festival. Déjà, est-ce que ça s’est bien passé ? 

Lætitia : C'était dingo ! (rires)

Astrid : On vit surprise sur surprise avec cette pièce, je crois. On a fait... Est-ce qu'on peut appeler ça un succès Avignon ? 

Lætitia : Oui. C’était un succès et on était à Avignon, donc je pense qu’on peut (rires). 

Astrid : C'était intense. Le rythme est rude, c'est une réalité. Mais le fait que le public soit venu, que les salles soient pleines chaque soir ont rendu l'expérience incroyable.

Avez-vous modifié certains aspects du spectacle après le festival, en fonction des retours ou de l'évolution de votre réflexion sur le spectacle ?

Lætitia : En fait, la pièce est en constante évolution, ne serait-ce que parce que nous sommes en recherche permanente et que ce ne sera jamais un produit fini. Certaines personnes ont vu le spectacle en décembre dernier et ont découvert d'autres versions depuis. C'est une création qui évolue en permanence. On s'adapte vraiment au lieu où on joue. Par exemple, ici aux 3T, notre scénographie et les tracés de la marelle ont été ajustés, pour s’intégrer au mieux à l’espace.

Astrid : Exactement ! Dans chaque lieu, on s’adapte à la scène, à la hauteur de plafond... À plein de choses. 

“La pièce est en constante évolution, ne serait-ce que parce que nous sommes en recherche permanente.”

En tant qu’artiste et femme, qu’est-ce que cette expérience avec Mal élevée vous a apporté personnellement ? 

Lætitia : Moi, j'ai grandi. J'ai l'impression d'avoir pris dix ans et j'adore (rires) ! Quelques cheveux blancs aussi et j'adore ! J'ai grandi dans le sens où je m'excuse moins de faire ce que je fais. Et c'est énorme. Selon mon référentiel, c'est énorme. 

Astrid : De mon côté, je me sens enfin capable de donner vie à quelque chose. Avec Mal élevée, j'ai réalisé que je peux vraiment produire et partager ce qui me tient à cœur.

Et pour finir, qu’espérez-vous pour la suite de Mal élevée : où aimeriez-vous voir cette pièce aller ?

Lætitia: À titre très personnel, moi, je me souhaite d'arriver à appliquer ce qu'on raconte dans la pièce, parce que c'est une chose de le jouer, de le faire tous les soirs, mais c'est d'autres choses que de l'appliquer dans la vraie vie.

Astrid : Oui, et que Mal élevée fasse un succès partout où il passe.

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Évidemment, on ne peut que le leur souhaiter. 

Appelées à reprendre les répétitions et à faire les derniers réglages lumières, j’ai quitté Lætitia et Astrid avec la confirmation - si elle était nécessaire - que Mal élevée est une œuvre riche, tout en étant à la fois intime et universelle. Elle nous rappelle l’importance de raconter nos histoires, de partager nos expériences mais surtout que nous ne sommes pas seules. Plus encore que cela, elle a le pouvoir d’ouvrir le dialogue sur des sujets bien trop tus, de bouleverser notre perception des normes imposées, comme les dynamiques de consentement. 

Répètitions

Elle est profondément ancrée dans le présent, mais aussi dans l’espoir d’un futur plus conscient et solidaire

Donc je ne veux pas avoir l’impression de donner des ordres, mais ne manquez pas cette pièce.

Il est temps de transformer la honte en force.

Mal élevée d’Astrid Tenon et Lætitia Wolf

Jusqu’au 29 septembre au théâtre Les 3T - Théâtre du Troisième Type (à Saint-Denis)

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