Quand les costumes inspirent le combat contre l’injustice

V pour Vendetta © Warner Bros.

J’ai toujours été fascinée par le rôle essentiel des costumes dans les films et séries, et à quel point ils nous entraînent dans des univers captivants. Par définition, me direz-vous, ils définissent immédiatement l’époque, le lieu et l’identité des personnages.

Ils révèlent l’essence des protagonistes, leurs aspirations, leurs doutes et leurs épreuves. Quand ces derniers connaissent des développements et/ou des changements dans leurs situations, il n’est pas rare que leurs tenues varient au fil de l’histoire, à l’image de Mia dans La La Land. Dans le même registre, Rita dans Emilia Pérez passe d'un style effacé, qui reflète une invisibilité au sein d’un monde d’hommes, à une apparence plus “glamour” et affirmée, prouvant son émancipation et sa transformation intérieure

Dans d’autres œuvres, les costumes ont un poids encore plus fort et abordent des thèmes sociaux, politiques et culturels, devenant des marqueurs de critique sociale. Dans les films Hunger Games et V pour Vendetta, ainsi que la série The Handmaid's Tale, on a en effet la preuve que la mode peut brillamment dénoncer les inégalités et inspirer des combats actuels pour l’égalité et la justice.

Alors, êtes-vous prêt.e.s ? Me sentant immergée par l’esprit des créateurs Aurora James et Jean-Paul Gaultier, j’ai eu envie d’explorer, à travers les costumes, la manière dont l'oppression et la résistance se représentent – et comment des styles, des accessoires résonnent bien au-delà des écrans, en écho aux enjeux sociopolitiques actuels.

Les reflets de la résistance sociale

Hunger Games © Lionsgate

Dans la saga Hunger Games, écrite par Suzanne Collins et adaptée en quatre opus au cinéma, la banalisation de la violence, l’oppression et la résistance sont au cœur du récit.

L’histoire se déroule dans le pays fictif de Panem, divisé en douze districts gouvernés par le Capitole, une ville riche et opulente qui impose sa domination agressive. Chaque année, l’État organise les Hunger Games ("jeux de la faim" en français), un événement cruel où un garçon et une fille de chaque district âgés de 12 à 18 ans sont choisi.e.s pour participer à une bataille à mort. Alors que les habitants de plusieurs districts souffrent de pauvreté et de privations, ce spectacle sadique diffusé en direct à la télévision est un moyen pour le Capitole de maintenir le contrôle de la population par la peur, en faisant oublier aux masses l'ampleur de l'injustice.

Katniss du District 12 devient la figure de la révolte. Son parcours est symbolisé par l'évolution de ses tenues, qui deviennent la preuve de sa transformation et de son implication dans la rébellion. D’abord habillée de façon modeste, avec des habits usés et utilitaires, son apparence évolue : elle adopte une combinaison noire et un arc, un style qui la relie à Artémis, la déesse de la chasse et de la nature. Tout comme Katniss, la déesse de la mythologie grecque est très indépendante, défie les conventions et agit selon ses propres règles.

De manière diamétralement opposée, les membres du Capitole, vêtus d’accoutrements ultra colorés, extravagants et opulents, incarnent l’inhumanité et l’indifférence face à la souffrance des autres. Ces tenues sont une preuve de leur déconnexion totale de la réalité, de leur superficialité, de leurs excès et de leur insensibilité face aux atrocités qu’ils imposent aux districts. 

Ce contraste souligne la manière dont les apparences peuvent refléter, voire amplifier, les tensions sociales et politiques. De manière puissante, cet écart inhumain entre le Capitole et les résidents des districts a résonné lors du Met Gala de 2024. Alors que des célébrités avaient payé 75 000$ pour défiler dans des tenues somptueuses, des bombardements avaient lieu à Rafah, dans le sud de la Bande de Gaza. À quelques mètres de l’événement, des activistes pro-Palestine manifestaient contre le génocide en cours. Non seulement aux États-Unis, mais aussi dans le monde entier, des mouvements étudiants sur les campus, qui exigeaient que les universités rompent leurs liens financiers avec Israël, avaient entraîné des centaines d’arrestations.

Les internautes, surtout sur TikTok, ont exprimé leur indignation, rappelant qu’alors que des vies sont détruites, d’autres se pavanent dans des tenues dont le prix pourrait alimenter des familles pendant plusieurs mois. Les comparaisons avec Hunger Games furent employées car elles étaient appropriées : elles mettent le doigt sur la manière dont les élites ont la capacité de se réfugier dans une bulle de luxe et de consommation, tout en paraissant ignorer (ou en ignorant vraiment ?) la souffrance et l’activisme qui se déroulent hors de leurs mondes clos.

Ce parallèle analyse non seulement l'absurdité de la situation, mais aussi l'état fucked up du monde. Jusqu'où ça va aller avant que tout le monde réalise que ça ne peut plus durer ? Et qu’il y a un besoin urgent de changement dans cette société, dans ces structures de pouvoir qui favorisent une partie des gens en exploitant une majorité ?

L’étoffe des révolutions

The Handmaid's Tale © Hulu

Face à ce monde dysfonctionnel, les récits dystopiques nous tendent un miroir terrifiant, dans lequel les habits ou accessoires des personnages occupent une place toute particulière, mais prennent aussi une dimension secondaire dans la vie réelle. 

Dans la série The Handmaid’s Tale, adaptée du roman de Margaret Atwood, les femmes ont été déchues de leur statut de citoyennes. Affectées à des couples de la caste dirigeante, les servantes sont vêtues de robes rouges et de coiffes blanches, marquant leur statut de propriétés sous un régime autoritaire qui contrôle chaque aspect de leur vie. Avec leur esthétique austère et uniformisante, ces costumes reflètent la soumission forcée et la réduction des femmes à des fonctions reproductives. 

Rapidement, ces robes sont devenues un cri de ralliement en dehors du petit écran. Dans plusieurs pays, des manifestantes les ont revêtues pour protester contre les atteintes aux droits des femmes, notamment dans le contexte des lois restrictives sur l'avortement. C'est en mars 2017 au Texas et dans le Missouri que cette forme de protestation est apparue pour la première fois. À ce moment-là, le gouvernement Trump voulait supprimer la couverture médicale pour les services de Planned Parenthood, l'équivalent américain de nos centres de planning familial.

À Londonderry en Irlande du Nord © Charles McQuillan/Getty Images

Quelques mois plus tard en Irlande, avant un référendum qui le légalise enfin, des activistes se sont habillées de la même manière pour soutenir le droit à l'IVG. Par la suite, des manifestations similaires ont eu lieu à plusieurs endroits dans le monde, dont la Croatie, la Pologne, l’Argentine et le Royaume-Uni. Le rouge des robes, d’abord couleur de “la fertilité et du sacrifice”, selon Natalie Bronfman, la costumière de la série, prend alors un toute autre sens : celui de la colère, de la subversion et de la solidarité féminine.

De manière à la fois similaire et différente, dans V pour Vendetta, V porte un masque, à la fois simple et iconique : celui de Guy Fawkes, qui avait tenté en 1605 de faire exploser le Parlement britannique. Évoluant dans un régime totalitaire qui opprime le peuple, V cache alors son identité et se dissocie d’une personne physique, pour incarner pleinement le mouvement contre le pouvoir en place. Ce choix n’est pas anodin et symbolise que le combat qu’il mène ne relève pas de l’action d’un individu isolé, mais bien d’un soulèvement populaire. L’iconographie de ce masque est par la suite devenue un signe universel de protestation, utilisé notamment par les Hackers Anonymous et par le mouvement Occupy Wall Street.

Sa popularité dans la pop culture atteste que, derrière le masque, se cache une idée qui, comme le déclare le héros du long-métrage, "est à l'épreuve des balles". Autrement dit, les convictions et les idéaux ne seront jamais détruits par la force, car ils sont bien plus forts que la violence.

“Arrêtez l'un d'entre nous ; deux autres apparaissent. Vous ne pouvez pas empêcher une opinion de s'exprimer” / Occupy Wall Street

Chacune de ces apparences emblématiques porte en elle un refus d’assujettissement et nous rappelle que le combat contre l'injustifiable ne peut pas s’arrêter. Surtout pas avec le retour de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis. Symptomatique de la montée mondiale des régimes autoritaires, les résultats de cette élection représentent une menace directe pour l’environnement, les droits des femmes, mais aussi pour les libertés individuelles, les droits des minorités, des communautés LGBTQI+ et des personnes exilées. Selon Human Rights Watch, cela aura des conséquences dramatiques non seulement pour les États-Unis, mais pour la planète entière. 

Alors que faire, pour ne pas s’allumer une clope après avoir avalé un bidon d’essence ? 

Ma foi, j’aimerais avoir une réponse concrète. En attendant, j’essaye de rester positive et de me dire qu’il est crucial de ne pas se laisser engloutir par le découragement - en plus, j’ai arrêté de fumer. Il faut continuer de se battre pour les idéaux auxquels on croit, ensemble, et surtout, en prenant soin les uns des autres. 

Au fond, au-delà de cette réflexion sur la mode et les costumes, ce qui me touche profondément là-dedans, c'est ce pouvoir dingue qu’ont des vêtements de nous connecter à nos émotions, nos convictions et nos combats. De plus, il est essentiel de se rappeler que chacun.e d'entre nous peut faire entendre sa voix, à travers une action, une parole ou une tenue. L'initiative 15 Percent Pledge d’Aurora James en est un parfait exemple : la mode est devenue pour la créatrice canadienne un moyen de réinventer les règles, valoriser des voix peu écoutées et redéfinir ce que signifie consommer de manière éthique et responsable. 

Car, au final, toute forme d'art est un joli outil pour imaginer un avenir où la justice, l'égalité et la liberté seront pour tou.te.s des réalités.

Vivement ce jour-là. 

J’ai hâte. 

🤍

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