Marissa Cooper ou le trope de la "fille de riches"

Newport Beach ©FOX

Il y a quelques mois, j’ai regardé une saison et demi de la série pour adolescent.e.s Newport Beach. Alors que j’ai prétendu sur le moment que je n’irai probablement pas plus loin dans le visionnage, j’avoue, j’ai finalement regardé les quatre saisons. Si je devais donner une conclusion : c’est pas dingue-dingue. Il se passe des choses absolument improbables tous les deux épisodes et il y a tout un panel de scènes problématiques. Ceci étant dit, j’ai quand même tout regardé donc c’est que je dois être loin d’avoir détesté, n’est-ce pas ?

Quand est venu le générique de fin du dernier épisode, après avoir passé tout ce temps temps avec Ryan, Summer, Taylor et les autres, je me suis même pris d’une certaine sympathie pour eux, et en particulier pour Marissa Cooper, interprétée par Mischa Barton. Personnage clé de ce feuilleton des années 2000, elle est la it girl californienne parfaite et privilégiée. Elle est jolie, vit dans un grand manoir de l'agglomération de Los Angeles... Tout un tas de choses semble nous dire qu’elle est l’archétype de la "fille de riches", que l’on trouve de façon récurrente dans la pop culture. Cependant, l’on découvre vite qu’elle cache derrière sa garde-robe de luxe un grand mal-être, une propension aux comportements à risque et des relations familiales compliquées.  L’évolution au fil des saisons de son personnage m’a permis en quelque sorte de m'identifier à elle, de comprendre ses batailles intérieures et sa quête d’elle-même. 

Ce trope, comme tous les schémas scénaristiques, est assez caricatural et peut être vu comme sexiste. Il réduit ces jeunes femmes riches à des figures superficielles et dépendantes, dont la valeur est la plupart du temps déterminée par leur apparence et leur statut social. Il les montre de plus comme étant dépourvues d'autonomie, les présentant comme des victimes de leur privilège.

En moins de deux, cela m’a donné envie de réfléchir à la représentation des adolescentes financièrement privilégiées dans les films et séries. À travers le prisme de Marissa, et à défaut d’avoir moi-même de l’argent, je me suis lancée dans une exploration de ce personnage typique des teen dramas, afin de tenter de comprendre ses nuances et sa place dans la pop culture. 

Qui est  la "fille  de  riches" ?

Cette “fille de riches”, que l’on retrouve sous les traits de Marissa, mais aussi de Blair Waldorf dans Gossip Girl et Cher Horowitz dans Clueless a plusieurs caractéristiques distinctives qui façonnent sa personnalité et ses interactions avec le monde qui l’entoure.

Elle a accès sans soucis à une bonne éducation, parfois en internat, va en vacances dans des lieux paradisiaques, habite une maison immense, conduit une voiture de luxe et porte des vêtements de marque. Son statut financier élevé lui permet d'accéder à un certain confort matériel et à tout un tas d’évènements où mon pied ne pourrait jamais rentrer. 

Clueless ©Paramount/Courtesy Everett Collection

Cher, par exemple, vit dans un manoir à Beverly Hills avec son père, avocat de métier. Elle est populaire et accorde une grande importance à l'apparence et à la mode. Perçue comme optimiste, naïve et pleine de bonnes intentions, elle se révèle au final bien plus complexe que cela. Elle est intelligente, a un cœur généreux et une jolie capacité à se soucier des autres. Comme Marissa et Blair, elle semble absolument libre, car elle peut acheter tout et n’importe quoi. Cependant, quelque chose la différencie des deux autres : elle est chérie et protégée par son père. 

Comme l'argent ne fait pas le bonheur, comme on dit - même si, ne nous mentons pas, il permet de résoudre de nombreux problèmes que certain.e.s doivent affronter sans cette ressource -, Marissa et Blair ne vivent pas le même quotidien choyé. Derrière leurs façades de paillettes et de diamants se cachent des adolescentes profondément malheureuses

Il est, au premier abord, difficile de sympathiser avec elles, car notre premier réflexe est de les détester ou de les jalouser, étant donné qu'elles semblent tout avoir. Pourtant, on en vient à se sentir mal pour elles. Un peu étrange ? Non, pas tant que ça. Ce trope révèle des vérités importantes sur la solitude, les grosses pressions familiales et le vide émotionnel auxquels font face ces jeunes.

Les  enfants du  luxe et de la  négligence  émotionnelle

Ne passons pas par quatre chemins, ces personnages peuvent vivre la vie de château grâce à leurs parents, qui ne sont pas devenus riches en étant bienveillants mais grâce à leurs succès professionnels plus ou moins légaux.

Dans les yeux de ces derniers, donner de l'argent et des biens matériels à leurs enfants semble faire l’affaire. L’affection et l’amour étant remplacés par des cadeaux, iels ne semblent pas se soucier véritablement du bien-être émotionnel de leur progéniture. Iels ne sont d’ailleurs pas toujours au fait de ce que font leurs enfants tout court, ce qui ne les empêche pas d’être durs avec eux. Iels valorisent le succès et veulent que leurs enfants parlent plusieurs langues et fréquentent la crème de la crème de l’université, pour qu’ils puissent, la plupart du temps, reprendre l’entreprise familiale. 

Blair et sa gouvernante/mère de substitution © CW

Leurs filles sont souvent élevées par une gouvernante, un.e professeur.e ou autre, qui devient leurs principale figure parentale. Elles sont délaissées et se retrouvent à souffrir de solitude, de négligence émotionnelle, à ne pas savoir qui elles sont, voire à carrément se détester. 

Ces adolescentes grandissent, ont des difficultés dans la vie et bataillent pour se connecter avec leurs pair.e.s. Parfois, c’est parce qu’elles copient machinalement les habitudes méprisantes et/ou malsaines de leurs géniteur.ice.s, en affichant leur santé financière à tout le monde, ce qui les amène à se retrouver complètement seules. Dans d’autre cas, c’est parce qu’elles ont du mal à se rendre compte de leurs privilèges. Et alors, bien qu’elles aient profité de ce qu’amenait tout cet argent, elles peuvent ressentir de la rancœur envers leurs parents, en découvrant le trou béant laissé par tout ce manque d’amour. 

Finalement, ce personnage semble nous rappeler que la richesse ne protège pas contre les souffrances émotionnelles et psychologiques. De plus, cela nous rappelle que le déficit affectif peut nuire gravement à n'importe qui.

Marissa Cooper :  un exemple parfait ?

Marissa Cooper de Newport Beach apporte une complexité et une profondeur à ce schéma de la "fille de riches". Issue d’un milieu aisé, elle se révèle être une jeune femme complexe et humaine, qui lutte avec des gros problèmes émotionnels et relationnels. Souvent jugée en fonction de son apparence et de ses relations sentimentales plutôt que pour ses propres mérites, elle se cherche dans un monde qui n’a de cesse de lui dire qui elle doit être et ce qu’elle doit faire.

Nous faisons sa connaissance dans le premier épisode de la toute première saison, lorsqu’elle rencontre Ryan Atwood, adolescent issu de Chino, ville représentée comme bien moins aisée et confrontée à la criminalité et la pauvreté. Dans cet inconnu et luxueux Newport Beach dans lequel il débarque tout juste, il sort fumer une cigarette et rencontre Marissa, qui habite juste à côté. Elle lui demande qui il est, ce à quoi il répond : "Whoever you want me to be" ("Celui que tu veux que je sois" en VF). Est-ce une une tentative de paraître désinvolte et adaptable ? Est-ce qu’il cherche à créer une connexion avec elle ? L’interprétation est ouverte mais en tout cas, avouons que c’est cheesy à souhait.

Quoi qu’il en soit, elle a avec ce dernier une alchimie immédiate. Mais comme c’est une série du début des années 2000, pour créer du drame et du suspense (assez relatif) pour les téléspectateur.ice.s, iels passeront trois saisons à se rapprocher, se mettre ensemble, se séparer puis se remettre ensemble (x10). La réalité, bien que ce ne soit pas la seule cause, c’est qu’iels viennent de mondes complètement différents. Leurs différences de statut social et les tensions qui en résultent créent souvent des brouilles entre eux.

De plus, le mal-être qu’elle endure, exacerbé par la pression familiale, son alcoolisme et sa solitude, la rend parfois aveugle aux difficultés des autres. Souvent submergée par ses propres problèmes, elle a du mal à comprendre à quel point il en a bavé en grandissant et comment cela l’a façonné. Quant à lui, il est méfiant et est en permanence confronté à un monde de richesse et de privilège dont il se sent étranger. 

Et puis bon, ce sont des adolescent.e.s en plein développement personnel et émotionnel. De manière assez logique, leur manque de communication et de maturité leur fait résoudre les conflits de manière assez bancale. 

Les relations de Marissa avec sa famille sont en majorité composées de tensions. Sa réalité est littéralement étouffante, entre une mère qui lui met la pression pour tout parce qu’elle veut gravir les échelons et un père qui n’apparait que de temps en temps. Quant à ses relations amoureuses, elles reflètent sa quête désespérée d'affection et de validation. Son histoire destructrice et toxique avec Kevin Volchok illustre parfaitement cette idée. Elle le voit au début comme une figure séduisante et rebelle qui lui donne de l’importance, mais aussi comme une échappatoire à ses problèmes. Seulement, il a une influence négative sur elle et manque cruellement de remords, ce qui met Marissa dans des situations physiquement et émotionnellement dangereuses. Et comme on le pressent dès l’apparition de Kevin, elle en laissera bien plus que des plumes.

Marissa Cooper  : au-delà des  apparences  et  de la  richesse

À l’inverse de Regina George de Mean Girls, lolita malgré moi, qui reste attachée à son pouvoir et à son image de reine du lycée sans montrer de véritable évolution, Marissa grandit au fil des épisodes. Elle fait preuve d’un paquet de remises en question de ses actions passées. Elle essaye de faire toujours mieux, de devenir de plus en plus empathique. Elle développe des liens sincères avec des personnes qui la comprennent, comme avec son amie d'enfance Summer, ce qui lui créé ni plus ni moins qu’un refuge. De plus, elle prouve qu’une grande partie de la vie consiste à se ramasser, puis à essayer de trouver un moyen de se relever et de se reconstruire. 

Newport Beach ©FOX

Profondément gentille, elle trouve toujours des moyens détournés d’aider Ryan, sans jamais le mépriser, contrairement aux ¾ des autres habitants du quartier. Elle fait de manière générale preuve d’une belle capacité à voir le meilleur chez les autres. Malheureusement, sa gentillesse, bien que magnifique, la conduit parfois à se retrouver dans des situations compliquées, voire dangereuses. Dans un monde parfois cynique et hostile, certain.e.s en profitent pour la manipuler.

Se présentant comme quelqu'un ayant besoin de soutien et d'amitié, Oliver, élève au meme lycée, isole Marissa de ses proches et crée une dépendance émotionnelle envers lui. Limitant son accès aux avis extérieurs qui pourraient l'avertir de ses véritables intentions, il se met à contrôler toutes ses interactions sociales. Cette emprise atteint son paroxysme lorsque Oliver la séquestre dans une chambre d'hôtel à Los Angeles, sous prétexte de lui offrir un abri. 

Cette expérience laisse inévitablement elle aussi des cicatrices profondes sur notre héroïne, affectant sa confiance en elle-même et en autrui. Pourtant, au risque de paraître cul-cul, si les qualités humaines qu’elle possède étaient présentes chez tout le monde, le monde serait bien plus beau et agréable. Diantre, la gentillesse ne devrait pas être vue comme un défaut et l’on devrait au contraire cultiver cette belle qualité. - Moi je suis comme ça, je suis engagée, je balance. Et puis tant qu’on y est, ce truc d’être "trop gentil.le" est une étiquette injuste et ne devrait pas exister.

Au final, je ne peux pas m’empêcher de penser que Marissa aurait grand besoin de se confier à quelqu’un. Mais si beaucoup d’ados de séries actuelles, de Devi dans Mes Premières Fois à Connell dans Normal People, vont chez le.la psy, la santé mentale n'était pas un point focal majeur des dramas pour adolescents il y 20 ans. Marissa n’a pas grand monde à qui exprimer qu’elle se sent seule et cherche désespérément à être comprise. Pourtant, avoir un espace sûr pour parler de son mal-être aurait pu faire une différence significative dans sa vie. En effet, partager ses sentiments et ses préoccupations avec quelqu’un qui a les bons outils aurait pu l'aider à se sentir moins seule et à trouver du réconfort. Et recevoir les opinions et les conseils de cette personne de confiance aurait renforcé sa confiance en elle et lui aurait certainement donné un soutien émotionnel crucial.

Loin de moi l’envie de faire des reproches mais Julie, sa mère aurait dû s'alarmer lorsque, dans cette scène, Marissa pète les plombs. La bonne chose à faire aurait sans doute été de s'impliquer davantage dans la vie de sa fille et de lui offrir l'appui dont elle avait désespérément besoin.

En cassant les clichés associés à ce trope de la "fille à papa riche", Marissa rappelle que les individus ne doivent pas être jugés uniquement sur leur apparence et/ou leur statut social. Plus que de montrer qu'il y a bien plus en elle que ce que tout le monde semble supposer, elle prouve qu'elle peut défier les attentes sociales et se développer en tant qu'individu indépendant, au-delà de sa richesse matérielle. 

Elle est pour finir un rappel poignant des complexités de la jeunesse et de l'importance de l’écouter, peu importe le niveau social et même s’iels portent un sac Chanel et conduisent une Porsche. 


En écrivant mon premier article sur Newport Beach, j'ai fait une playlist avec mes chansons préférées de la B.O. de la série. Je l’ai récemment mise à jour - cliquez ici pour l’écouter !

Précédent
Précédent

Bitter Sweet Symphony : décryptage d’une chanson éternelle

Suivant
Suivant

La quête d’ailleurs : l’évasion dans les chansons de London Grammar