Le Garçon et l’Univers : quand les enfants affrontent le chaos des adultes
J’aime bien les mini-séries. Elles vont droit au but. En quelques soirées, on peut tout voir sans avoir à s'investir sur plusieurs mois ou plusieurs années. Il en existe toute une flopée sur Netflix, dont l’un de mes précédents binge-watchage : Le Garçon et l'Univers, sortie en janvier sur la plateforme - hé non, savoir si quasi un an de retard, ça craint, ne sera pas le sujet du jour.
En 7 épisodes et avec une distribution impeccable - dont Travis Fimmel qui a troqué la tenue de Ragnar le viking pour un mulet des années 80 et des chemises hawaïennes, Boy Swallows Universe en VO nous dépeint une jeunesse contrainte de vivre dans un environnement marqué par la dépendance, le crime et la violence, où les frontières morales sont floues.
Personnellement, j’ai dévoré cette série australienne en trois jours. J'ai été conquise par son rythme, les personnages ultra-attachants, les musiques, les décors et le dynamisme de chaque épisode - soyons honnêtes, à part le tout dernier, qui est bien trop saccadé, expéditif et confus. Presque bizarre, même. M’enfin qu’importe car une grande partie du reste est très chouette.
Inspirée du best-seller de Trent Dalton, Le Garçon et l’Univers aborde avec humour et beaucoup de cœur, les thèmes du trauma, de la résilience et de l’ambivalence morale. Sans jamais juger ses personnages, la série est rendue très poignante par la façon dont elle traite la notion de famille. Par bien des aspects, celle d’Eli semble dysfonctionnelle, les problèmes des adultes entraînant des conséquences désastreuses sur son développement et celui de son frère. Mais malgré tout, cette famille reste un lieu d’amour et de liens sincères, où chacun.e tente tout simplement de faire de son mieux.
Ce récit largement tiré de l’enfance de l’auteur montre également comment celle-ci peut devenir une force face au chaos des adultes et comment la société échoue trop souvent à protéger les plus vulnérables. À travers les trajectoires d’Eli et de son entourage, Le Garçon et l’Univers ne se contente pas d’évoquer les sacrifices nécessaires pour juste s’en sortir : c’est aussi une ode à la survie et au courage.
L’innocence comme force face à la brutalité
Le ton de la série nous est donné dès les premières secondes du premier épisode. On voit Lyle se faire kidnapper et se faire jeter violemment dans le coffre d’une voiture. Cette scène oppressante et brutale est suivie par la voix paisible d’Eli, le “garçon” en question, qui nous annonce que “[sa] mère est vraiment la meilleure du monde”. La violence du monde adulte se confronte à la vision pure et lumineuse d’un enfant.
Mais ça parle de quoi, concrètement, cette série ?
Dans les années 80, Eli Bell habite à Darra, une banlieue défavorisée de Brisbane. Âgé de 13 ans, il vit avec son frère aîné Gus, qui communique en écrivant des mots dans l'air avec son doigt, sa mère Frankie qui se bat contre sa toxicomanie et son beau-père dealer Lyle. Cette petite famille parvient tant bien que mal à préserver une certaine harmonie, jusqu’à ce que les affaires de Lyle partent en eau de boudin. Eli devra alors trouver les moyens et la force de se forger un avenir.
Magnifiquement interprété par le jeune Felix Cameron, Eli a une curiosité insatiable et un regard unique sur ce qui l’entoure. Son lien avec son grand frère, muet depuis un événement traumatisant, est certes silencieux mais très puissant. Porteur d’un espoir que les adultes n’ont plus beaucoup, il voit au-delà des limites imposées par son environnement. Il oscille entre émerveillement et lucidité, à l’instar d’Hushpuppy dans Les Bêtes du Sud Sauvage, ce qui lui permet de ne pas tomber dans le fatalisme.
Il semble alors évoluer en deux personnes distinctes : d’un côté, il est contraint de jouer un rôle d’adulte bien trop tôt. Il doit prendre des décisions difficiles, se protéger et protéger les siens comme il peut. De l’autre, il est encore un enfant, qui parvient à s’évader à l’aide de son imagination. Certes, un enfant qui prend comme un jeu de faire la tournée des consommateur.ice.s d’héroïne avec son beau-père, mais un enfant tout de même, qui aspire à une forme d’innocence. Cette innocence est à la fois une forme de courage et un sacrifice nécessaire. Si elle ne résout pas tous ses problèmes, elle devient sa manière à lui de résister et de tenir bon.
Des années plus tard, Eli commence à travailler pour un journal, puis se tourne vers la narration de sa propre histoire. L’écriture devient son véhicule pour affronter le monde et s’y inscrire à sa façon. En posant des mots sur ses expériences, il transforme alors ses blessures en force et donne ainsi une voix à celleux qui, comme lui, sont peu écouté.e.s. Il décide par la même occasion de la manière dont son vécu est présenté. Cela lui permet de reprendre le contrôle sur sa vie, de transcender son statut de victime, pour devenir maître de son avenir.
De manière assez similaire, dans The Florida Project, Moonee, à seulement six ans, n’est pas pleinement consciente des difficultés économiques de sa mère. Grâce à une insouciance touchante, le motel bon marché dans lequel elle vit devient son terrain d'aventure.
Cependant, Moonee est bien plus exposée à la négligence des adultes que ne l’est Eli. Tandis que ce dernier trouve des soutiens dans le monde adulte, Moonee n’a aucun adulte vers qui vraiment se tourner. Sa mère, qui lutte pour joindre les deux bouts, la laisse en effet souvent livrée à elle-même. Moonee est donc rendue plus vulnérable à la brutalité des institutions.
Les trajectoires de Moonee et Eli soulignent une réalité inquiétante : celle d’une société qui, bien souvent, laisse les plus précaires dans l’indifférence, sans réel soutien.
La moralité floue : survivre à tout prix
Dans ce contexte, peu importe la série ou le film, les parents sont souvent désemparés, dépassés par leurs démons et/ou complètement déconnectés de la réalité de leurs enfants. Bien que leurs intentions soient parfois bonnes, iels tentent de s’en sortir comme ils peuvent.
Ce qui passe souvent par l’illégalité.
Dans Shameless, tous les personnages, qu’il s’agisse de Fiona ou Lip, font des choix moralement discutables pour trouver de quoi manger, payer les factures et éviter l’expulsion. Dans Breaking Bad, Walter White se lance dans la fabrication de méthamphétamine après avoir appris qu'il souffrait d'un cancer du poumon en phase terminale. Si au fil de la série, ses motivations se nuancent, il a pour volonté, de base, d’assurer l'avenir financier de sa famille. Mais au final, il met involontairement ces proches en péril, tout comme Lyle dans Le Garçon et l’Univers.
En tant que figure masculine aimante, à la fois de Frankie, mais aussi dans la vie des garçons, ce dernier leur offre une présence constante, mais aussi de l’affection et une stabilité émotionnelle. Seulement, avec ses affaires louches, il implique involontairement les trois autres et les expose à des risques énormes. Il transmet également un message confus à Eli et Gus sur ce qui est acceptable et moralement juste. En cela, il incarne une dualité complexe entre protection et danger.
Ceci étant dit, malgré ses traits autodestructeurs et son rôle dans l’introduction de Frankie à la drogue - ainsi que dans son sevrage -, Lyle n’est pas présenté comme un homme fondamentalement mauvais. La série ne ferme jamais les yeux sur son comportement, mais elle ne le prend jamais non plus de haut. Alors comment ne pas ressentir une certaine empathie pour lui ? Il est un homme qui aime, qui essaie, et qui se vautre, tout en restant profondément humain. Un homme qui n’a pas choisi le trafic par facilité, mais comme un complément car son job ne lui permet pas de sortir de la précarité. Un homme pour qui les opportunités d’ascension sociale sont limitées, car il évolue dans un milieux défavorisé, ce qui renforce un cycle de pauvreté. Un homme qui est la preuve, comme Fiona de Shameless, comme la mère de Moonee dans The Florida Project et comme Walter White de Breaking Bad, de l’échec d’un système économique incapable de leur garantir des conditions de vie décentes.
Lyle, à la fois coupable et pris dans un cercle vicieux, incarne la réalité de nombreuses personnes laissées pour compte. Ses motivations résonnent alors profondément avec le public, parce qu’elle est ancrée dans des réalités humaines et des envies universelles.
Parce que finalement, la grande question soulevée par tous ces récits est : comment faire dans un monde qui ne vous donne pas les outils et encore moins les chances pour y arriver ?
Le Garçon et l’Univers fait donc partie de ces histoires, comme Shameless et The Florida Project, qui nous transmettent l’idée que le monde des adultes n’a pas tout à fait su donner aux enfants la place qu'ils méritent.
On en retient ce qu’on veut mais, selon moi, cette mini-série est une invitation à repenser et réformer tout ce qui ne tourne pas rond, afin de donner à chacun.e les chances de réussir. Elle nous communique aussi qu’il est temps de réinventer un monde où l'espoir et l'innocence ne sont pas des privilèges, mais des droits pour tous.tes.
🛼 Pour un petit voyage musical dans les années 80, c’est par ici que ça se passe :